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La mode ? Je n'avais pas envie. A cause de l'enfance sans doute, à cause

des gens, à cause d'un tas de choses d'un milieu qui ressemblait trop au

mien. A cause du superficiel, à cause des conversations, à cause de

l'importance que peuvent se donner un tas de gens qui ne vivent qu'à

travers elle. Et puis un jour j'ai eu envie. J'ai vu passer une photo,

c'était un vêtement et le nom était Coppélia Pique. Il y avait quelque

chose de féérique. Dans le vêtement. Dans la photographie. Alors je me

suis rappelé que les gens qui faisaient la mode n'étaient pas ceux qui

ne vivaient qu'à travers elle. Je me suis rappelé aux évidences de ce qui

m'avait mené à la photographie - une démarche artistique - et de ce qui

menait certains, certaines, à créer des vêtements. Je me suis souvenue

de mon adolescence, la découverte de Lindbergh, Mondino, Avedon.

Je me suis souvenue des années Claudia Cindy Naomi. Je reprenais le

glamour dans la gueule avec sa dose de magie, et soudain la photographie

de mode ne m'est plus apparue comme un travail commercial obligé des

photographes, mais au contraire comme un point de rencontre entre

des univers artistiques. Pourquoi Leibovitz aurait-elle fait de la mode ?

J'étais photographe depuis deux, trois ans. Je n'avais pas de folio mode. J'ai envoyé un mot quelque part vers ce nom,

Coppélia Pique. Je me disais que la haute couture était la seule manière de commencer à photographier la mode, parce

que la haute couture est une histoire de fous qui comme moi, sont prêts à se ruiner pour créer une chose rêvée. La haute

couture était l'enfance, c'était ma mère qui s'en allait en fée dîner avec des robes impossibles et moi qui lui demandais, en la regardant se maquiller : "maman, tu me la donneras celle-là quand tu seras morte ?" La question la faisait rire à chaque fois. La désespérait aussi. Elle répondait sans cesse que la chose était déjà à moi, qu'on n'avait pas besoin d'attendre qu'elle meure. Ce que ma mère ne comprenait pas, c'est que je ne voulais pas la priver d'une chose si belle de son vivant. Et puis mon sens pragmatique lui échappait complètement : c'était gentil de me dire que la robe m'appartenait déjà, mais elle était bien trop grande pour moi, et pour des années elle le serait encore, comme les autres.

Des années mon rapport à la mode a été dénaturé. Non pas la mode que je portais, car la mode en réalité faisait partie de ma vie, infiniment. Non, la mode que je voyais sans même vouloir la regarder. Celle à laquelle on ne peut pas échapper, celle qu'on voit sans cesse, même sans le savoir. Les affiches signées Gucci qui ravageaient les filles, les campagnes qui surfaient sur les bleus sous prétexte d'uniformes militaires, les brindilles maigrissimes qui carburaient à l'héro... et les filles qu'on connaît, celles qui se font vomir et qui sont mannequins, exactement comme celles qui ne seront jamais en haut de l'affiche et qui rêvent de leur ressembler. Cette mode-là me dégoûtait. Celle de l'argent, celle de la femme-objet, celle du règne du même qui nous agresse et qu'on paye, même si on ne l'achète pas. Cette mode était la mort. Des corps de mortes pour un prix mondialisé qui projetait le monde entier dans le rêve et la pauvreté pendant que la terre entière délocalisait. Et puis il y avait l'autre monde.

 

L'autre monde, c'est celui dans lequel je m'échappais, celui dans lequel je m'échappe encore. On peut s'échapper derrière un livre, dans un musée, dans une idée. On peut arrêter le temps en créant avec les mains, les yeux, les ordinateurs et on est encore vivant. On peut s'échapper en allant danser.

Un jour ce mot de mode s'est effacé, je ne me suis plus soucié de rien, j'ai lu une réponse à un message qui disait oui, d'accord, venez, et je suis allée faire des photographies. Coppélia Pique donc, cette année-là c'était du prêt à porter. Mais tout ressemblait à la couture. La présentation s'appelait Narcisse et je n'avais rien à faire : qu'à prendre des photos.
Je découvrais alors que la photographie de mode était une vie rêvée de photographe, un univers dans lequel le photographe n'a rien à faire, que son travail : cadrer, régler, shooter. Ce n'est jamais comme ça. Le maquillage n'est jamais parfait, les décors ne sont jamais parfaitement propres, les mises en scènes sont sans cesse à réinventer, et là je n'avais rien à faire, qu'à capter la lumière le moment et les choses, et bientôt les gens.


Photographier la mode est alors devenu un luxe, un repos, une envie. Parce que je suis toujours trop lente à réaliser mes envies et à opérer des changements drastiques, je n'ai pourtant contacté personne d'autre, dans l'univers de la mode. Il y a autant de raisons aux choses qu'on ne fait pas qu'aux raisons pour lesquelles on n'arrête pas de fumer. Mais je suis retournée photographier les collections Coppélia Pique, les déesses dorées, le défilé dans une Eglise - comment peut-on ne pas venir, quand on est invité à découvrir ce qui s'appelle "Bloody Love Story" ? Il y a eu ensuite une histoire de messie, une histoire d'Hommes, dans une galerie à Saint-Germain des danseurs sous une lumière parfaite portaient un travail fou dont j'aurais volontiers rempli ma garde-robes. C'est un temps venu d'ailleurs qui est parfaitement contemporain, Coppélia Pique. Une inspiration souvent puisée dans les mythes et des matières dans lesquelles on a envie de s'envelopper - quand Platon n'a plus d'argument, il puise aussi dans le mythe pour que le monde ait une chance d'avoir un sens. La dernière fois, c'est un sweet-shirt blanc sur lequel était écrit "In Weed We Trust" que j'aurais bien emporté avec moi...

Est-ce qu'on photographie la mode ? La mode ne se voit pas derrière l'obectif, on ne photographie que ses traces, son préambule, une petite chose à porter, c'est humble un vêtement, ce n'est rien d'autre qu'une création.

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