« Dans la propriété de sa mère, à Chalsis, Aristote vieillissant disait :
Oubliez les livres que j’ai consacrés à la politique. Quittez les villes ! »
                                                          Pascal Quignard, Une journée de bonheur

J’avais quitté la ville avant de la quitter, avant d’y retourner. Car il y a eu l’île de Minorque, puis Barcelone ou le retour à la ville, et puis j’ai cherché un village, je voulais la mer et la campagne, j’ai suivi mon instinct et les signes de la vie, qui m’ont menée à Saint-Malo puis m’ont fait atterrir à Cancale.

Je me suis mise à être du matin, à courir comme une enfant portée par la seule joie de bouger mon corps pour aller quelque part, je me sentais entourée par l’horizon, les couleurs désertiques et insulaires des marées qui changent chaque jour sans cesse, je me sentais entourée par ma famille invisible, ancrée dans la résistance de Tesson ou dans l’expérience d’Angot : quitter la ville est un de ses livres.

J’étais avec les fées au pays de Merlin, ne connaissant rien à la région ni à ses mythes, je voulais rester novice afin de cerner au mieux l’expérience: vivre sur Terre. Au bord de la mer, là où la lune fait battre le cœur de la terre sur le sable, retirant la mer de sous nos pieds, l’appelant en son centre,  puis la rendant au bord de plage avant de la rappeler.

J’ai vécu dans ce va-et-viens presque trois ans, ce mouvement qui rythmait ma vue et avec elle ma vision du monde, ce mouvement qui me rappelait tout à la fois Héraclite et l’éros, alors aussi le thanatos. J’étais à ma place. Sur la route panoramique en courant. La fin collait au moyen. Le telos grec. Dit que le chemin et le sens sont un même mouvement, et l’objectif du quotidien faisait sens, la vie entière faisait sens, même après Nietzsche et Marx et Freud, même sans croire en Dieu je finissais par y croire peut-être, comme on croit à la force de l’univers, à cause de ce que la Terre nous offre, la foi est peut-être ce rapport au ciel.

Fairies tell : les fées parlent.

Ces photographies sont issues de mes années dans la région, passées à capturer le brouillard et à tenter d'immortaliser la lumière d'un monde qui me parle, depuis les remparts de Saint-Malo ou dans les chemins de Cancale, depuis une voiture avec Caroline ou Fabienne, sur la route vers Dinan ou dans un cimetière à bateaux. J'ai cru voir de l'art abstrait depuis le Mont Saint-Michel, où le sable se confondait dans l'horizon de la mer, j'ai décrété que certains arbres étaient les miens au-dessus de l'eau turquoise, j'ai traversé la Rance en zodiaque pour rencontrer des phoques, j'ai rêvé d'une maison sur une colline, j'ai fait découvrir la pointe du Grouin à celles et ceux qui me rendaient visite, j'ai marché pieds nus à marée basse à Villiers-sur-mer, j'ai croisé des anges et des démons, eu le vertige au-dessus des roches à Dinard, poussé la virée parfois jusqu'à Saint-Briac, j'ai compris pourquoi la région de Brosséliande était mystique, et j'ai passionnément aimé ma maison.