Vous me demandez pourquoi j’ai choisi une voie artistique
et je n’ai pas choisi un mot aussi fou que celui de l’art,
j’ai simplement choisi la vie.
Vous me demandez de mettre des mots insensés sur ce que je fais
et je peux le faire, j’ai appris à m’exprimer en des termes
précis et argumentés mais est-ce utile vraiment ?
Ne faudrait-il pas admettre simplement que tout le monde crée des choses,
dès l’enfance ? Nous souvenir qu’enfants nous créons toute la journée,
entourés de crayons, de pâtes à modeler, de couleurs et de papiers,
un jour nous arrêtons, pourquoi ? Arrêtons-nous ?
On ne choisit pas de faire des photos : on fait, des photos. On choisit d’essayer d’en vivre, c’est-à-dire qu’on choisit d’être fous un peu, bon. On ne choisit pas d’écrire on écrit. C’est une question de vie ou de mort. Nous demande-t-on pourquoi on respire, pourquoi on se nourrit, pourquoi on fait nos « besoins » ? Non. Tout le monde sait bien que c’est la condition de possibilité de la vie, de la survie aussi. Ne me demandez pas pourquoi je fais ces choses, si j’en pense du bien, du mal, si j’ai la prétention que chacun y trouve un intérêt ou l’envie qu’une élite s’y retrouve. Je fais ces choses parce que je ne peux pas faire autrement. C’est comme le besoin de hurler devant l’injustice, comme l’urgence de la soif, ça ressemble au bleu du ciel comme aux nuits blanches, ne me demandez pas de me prendre au sérieux parce que je suis restée une enfant, d'autant que je suis d’accord pour le rester, vous voyez bien, même si évidemment c’est envers et contre des sommes de choses et de gens dont je n’ai aucune envie de parler.
A supposer que vous soyez d’accord, vous allez me dire : les photos, ce n’est pas seulement de la création, c’est d’ailleurs souvent bien moins, ou bien plus que ça. Très bien, je suis d’accord. Je veux bien vous dire, oui, la photographie me convient en ceci qu’elle est mille choses. Elle permet de créer et elle permet de raconter un bout du monde. D’arrêter le temps (magie !), de montrer le monde tel qu’il est… une partie de ce que l’on voit, mais personne ne voit la même chose n’est-ce pas, dans une situation, un lieu, un cadre. Evidemment non. Car chacun est un monde, deux yeux, mille silences. J’aime le reportage et le bruit de la rue, m’effacer derrière et vous livrer une histoire vraie, un bout, d’histoire vraie. J’aime réaliser mes rêves, avoir une image qui vient dans ma tête au milieu de la nuit, passer des coups de téléphone, réunir des gens pour tenter de faire une image réelle d’une chose qui n’existait pas ailleurs que dans ma tête un jour, une semaine, un mois avant. J’aime arriver quelque part où sans doute je m’ennuierais vite sans l’appareil magique et rester des heures, photographier les espaces et les gens, les verres, la fête, les têtes et les vêtements. J’aime avoir quelque chose à choisir, sinon à créer, à toute les étapes du travail de photographe, dans toute situation, pour tous les clients, il y a à chaque étape de ce que nous avons à faire, quelque chose d’amusant pour moi car quelque chose à créer un peu. Un cadre ou une couleur, un visage, un instant. J’aime les gens que je rencontre et les jours qui ne se ressemblent pas, j’aime que mon métier se passe dehors puis dans le silence de la solitude, j’aime inventer seule ou avec vous et raconter seule ou avec vous, la fiction ou le réel, le temps long et le court, j’aime laisser des traces de vos défilés vos spectacles vos éphémères, j’aime la position aussi du photographe, en-dedans et au-dehors, j’aime ce métier que voulez-vous je n’en ai pas trouvé qui me convienne mieux, puisqu’il en faut un, n’est-ce pas ?